SUMER

Sumer est une civilisation et une région historique située dans le sud de l'Irak, la Mésopotamie. Elle a duré de la première colonie d'Eridu dans la période d'Obeïd (fin du VIe millénaire av. J. C.) en passant de la période d'Uruk (IVe millénaire av. J. C.) et les périodes dynastiques (IIIe millénaire av. J. C.) jusqu'à la montée de Babylone au début du IIe millénaire av. J. C.. Le terme sumérien s'applique à tous les locuteurs de la langue sumérienne. Elle constitue la première civilisation véritablement urbaine et marque la fin de la Préhistoire au Moyen-Orient.

Origine de la civilisation sumérienne

Carte de Sumer

La civilisation sumérienne est apparue selon Jean Margueron du fait que l'épeautre - céréale poussant naturellement depuis des millénaires à proximité des berges du Tigre et l'Euphrate - a permis il y a neuf mille ans à l'homme d'alors de se sédentariser en remplaçant le besoin de s'alimenter au jour le jour par la possibilité de stocker des céréales, donc des aliments, sur une année. Cette mutation décisive induisit les premières structures urbaines, rendant nécessaires des travaux d'irrigation d'une exceptionnelle ampleur, sur des milliers d'hectares. La civilisation sumérienne se développa en inventant l’écriture et l’architecture.

L’apparition de cette civilisation urbaine peut paraître soudaine (vers le IVe millénaire av. J. C. avec la période d'Uruk). On ne sait d'ailleurs pas d'où viennent les Sumériens, la langue sumérienne n'appartenant ni au groupe des langues sémitiques, ni à celui des langues indo-européennes ; le fameux mythe d’Abgad (les Sept Sages) impute la première civilisation du pays par ces nouveaux immigrants étranges « arrivés de la mer ». Il est possible qu'ils soient venus du sous-continent indien ou d'Asie en longeant le littoral iranien. D'autres hypothèses les feraient venir du nord (Asie Mineure ou Zagros). Plusieurs, comme Elton L. Daniel1, pensent que les Sumériens sont d'origine iranienne2.

"En effet, ils étaient inconnus des Grecs, des Romains, et même des Juifs. Il semble également que Hérodote n'entendit même jamais parler de la civilisation sumérienne. Il paraît également que Bérose, l'historien babylonien, ne connaissait le Sumer qu'à travers une fable. Il décrit une race de monstres, conduits par Oannès, venant du golfe Persique, et qui introduisit dans le pays l'agriculture, le travail des métaux, et l'écriture 3." Deux mille ans après Bérose, "on redécouvert cette brillante civilisation. C'était en 1850 que Edward Hincks s'apercevait que l'écriture cunéiforme avait été empruntée à un peuple antérieur qui parlait également une langue non sémitique. Plus tard, Jules Oppert donna à ce peuple le nom de Sumérien4."

Pourtant certains auteurs, comme Jean-Louis Huot (cf Bibliographie) pensent que cette civilisation est le résultat de la lente évolution par sédentarisation des communautés humaines qui occupaient le sud de la Mésopotamie depuis une dizaine de millénaires. À un certain moment, elles se sont dotées de l'outil qui leur permit de noter leur langue, le sumérien.

Cette civilisation a probablement décliné et disparu à cause de la stérilisation saline des terres agricoles (en s'infiltrant les eaux d'irrigation dissolvent les sels minéraux contenus dans le sous-sol ; sous l'effet de la chaleur la part de cette eau non absorbée par les plantes remonte et, en s'évaporant, laisse à la surface les sels dissous) et du déplacement géographique des lits des fleuves.

Structure politique

Contrat archaïque sumérien, inscription pré-cunéiforme, musée du Louvre

L’utilisation de l’écriture est concomitante d'une organisation complexe de la société. Elle est administrée, de façon méticuleuse et tatillonne, par un État monarchique et sacerdotal dirigé par un roi (lugal, « homme grand ») ou un prince (ensí, autrefois lu patesi). Fondateurs de "Cités-Etats5", il développe "le système dynastique du pouvoir à la tête duquel il y avait un roi-prêtre6", ou selon G. Renard, "patesi7", représentant "à la fois le chef politique ou maître de la cité et la personnification 8" sur "terre de la divinité9.

Le sumérologue Thorkild Jacobsen propose l’idée d’une démocratie primitive aux origines de Sumer. En s’appuyant principalement sur les mythes qui mettent en scène des assemblées où interviennent des héros, des hommes ou des divinités (épopée de Gilgamesh), il pense que la plus ancienne institution politique aurait été une assemblée d’hommes libres où des Anciens auraient géré des affaires courantes et lorsque le besoin s’en faisait sentir, auraient délégué des pouvoirs à un en pour des travaux importants ou à un lugal en cas de guerre. Dans ce système, les autorités religieuses et royales auraient pu se développer au détriment d’hommes libres.

Karl August Wittvogel défend la thèse d’un État « hydraulique ». La civilisation sumérienne offre un exemple, parmi d’autres, de l’existence d’un pouvoir despotique exigé par la nécessité d’organiser et d’administrer un réseau de distribution de l’eau : il fallait répartir équitablement celle-ci, mais aussi obtenir par la corvée le travail nécessaire à la création, puis à l'entretien de ce réseau. Cette théorie pouvait facilement se fondre avec celle d’une démocratie primitive et le despotisme du pouvoir royal. Elle a été combattue, notamment après les recherches de R. McAdams, qui montrent que les réseaux d’irrigation de Sumer au début du IIIe millénaire ne nécessitaient pas un pouvoir coercitif, chaque agglomération n’ayant besoin que d’un territoire réduit pour subvenir à ses besoins. De plus, les historiens n’ont pas trouvé dans les textes la preuve que le despotisme oriental soit issu des problèmes liés à la gestion de l’eau, même si l’une des tâches royales a été d’assurer la construction et la gestion des canaux. Les recherches en ce domaine ne sont pas terminées et l’on peut se demander si l’aménagement régional de Mari, dont la réalisation a certainement exigé de très gros moyens en hommes et en temps, a pu se faire sans un pouvoir coercitif, s’appuyant sur l’idée de l’État et de ses besoins.

La vie économique

La civilisation sumérienne est, à des bien égards, une civilisation primitive. Les Sumériens faisaient un certain usage du cuivre et de l'étain et selon Gordon Childe "à l'occasion, ils les mêlaient pour avoir du bronze10". Pourtant, le métal représentait encore pour eux un luxe, voire une rareté. Selon Delaporte, "la plupart de leurs outils étaient en silex et les faucilles11". D'après Leonard Woolley "le tissage était exécuté sur une grande échelle sous la direction de surveillants nommés par le roi lui-même12". Étant donné que la pierre était rare en Sumérie, on devait la faire venir du golfe Persique, en remontant la fleuve. Néanmoins, le transport par voie terrestre n'était pas inexistant, puisque la mission d'exploration de l'université d'Oxford a exhumé le plus ancien véhicule à roue connu à Kish13 (l'île iranienne dans le golfe Persique). Par ailleurs, les cachets découverts révèlent qu'un certain commerce existait avec l'Inde et l’Égypte14. La monnaie n'existait pas donc on procédait par troc15. Mais, Alain Joxe pense que la monnaie est apparue, "peut-être à Sumer, mais seulement comme instrument de règlement final de gros contrat, nécessairement public16". Alain Joxe emploie donc le mot peut-être. Toutefois, selon Woolley, l'or et l'argent servaient d'étalons d'échange sous forme de lingots ou d'anneaux ayant une valeur préalablement définie17. Il existait également un "code qui traitait de toutes questions commerciales ou individuelles ou même sexuelles, les achats et les ventes, l'adoption et les legs18".

Structure sociale

La Sumérie, mot utilisé par les spécialistes jusqu'au milieu 1950, constituait d'une structure sociale plus ou moins complexe. Entre les riches et les pauvres, il existait, selon Woolley, une classe moyenne, "composée de petits commerçants, de savants, de médecins et de prêtres19". L'ordre social était maintenu par un système féodal20. Selon Maspero, les ressources fiscales "constituées des impôts payés en natures, enfermés dans les entrepôts royaux21", étaient également "répartis, à titre de salaires, aux fonctionnaires et aux employés de l’État22". Autrement dit, les fonctionnaires appartenaient à la classe moyenne23.

Article détaillé : condition féminine dans la civilisation de Sumer.

Bien que les femmes aient bénéficié de protection sous la loi cunéiforme (en) et qu'elle pouvaient atteindre un statut social plus élevé que dans les autres civilisations contemporaines, la société sumérienne est dominée par les hommes. Selon le code d'Ur-Nammu : sous le lu-gal (« grand homme » ou roi), tous les membres de la société appartenaient à l'une des deux couches de base, soit le lu, ou homme libre, et l'esclave (homme, arad, et femme, geme). Le fils d'un lu est appelé dumu-nita jusqu'à ce qu'il se marie. Une femme (munus) débute sa vie en tant que fille de ses parents (dumu-mi), devient épouse (dam), puis, si elle a survécu à son époux, une veuve (numasu) et elle peut alors se remarier.

Organisation éducative

Les Sumériens édifièrent une structure éducative performante et complexe24. « À Ur, il y a plus de 37 siècles, les écoles publiques s'étaient multipliées […] L'école pouvait recevoir quelque 25 élèves d'âges divers. À l'origine annexes des temples, les écoles sumériennes s'étaient laïcisées ; on y enseignait les disciplines les plus diverses, de la botanique aux mathématiques en passant par la géographie et la grammaire. Elles étaient de hauts lieux du savoir25. »

Sciences

Article détaillé : Astronomie sumérienne.

La civilisation de Sumer a produit quelques-uns des tout premiers astronomes historiques, assemblant ainsi des étoiles et leur position en constellations, dont plusieurs survivent aujourd'hui et qui étaient également reconnues par les grecs anciens 26. Les astronomes sumériens ont indépendamment inventé, vers 3500 av. J.C., des calendriers basés sur le cycle lunaire, aboutissant donc à 13 divisions de l'année, au lieu de nos 12 mois habituels27. Du côté des femmes du IIe millénaire av. J. C., des astronomes sumériennes sont dirigeantes des grands temples observatoires 28.

C'est aussi aux Sumériens que l'on doit la division du cercle en 360 degrés : le cercle était d'abord divisé en 60 minutes, puis chaque minute, en 60 secondes. Ceci a permis d'améliorer la précision des techniques de mesure du temps27.

Civilisation et art

 

Gudea, prince de Lagash, statue dédiée au dieu Ningishzida, v. 2120 av. J.-C., musée du Louvre

Les Sumériens et leurs successeurs akkadiens possédaient une culture exceptionnellement avancée, on leur doit notamment :

Religion

La religion sumérienne a influencé l'ensemble de la Mésopotamie pendant près de trois mille ans, ainsi que les onze premiers chapitres de la Bible29. Elle est une composante très importante de la vie, privée comme publique, des Sumériens et donne naissance à des représentations artistiques comme à des œuvres littéraires. Dans la conception sumérienne, le souverain n'est que le dépositaire de la divinité : sa fonction est sacerdotale aussi bien que politique.

La religion sumérienne est caractérisée par son polythéisme et son syncrétisme. Son panthéon compte une grande variété de dieux, structurée en une hiérarchie stricte, calquée sur la société humaine.

Au sommet se trouve la triade cosmique constituée de :

  • An (« dieu-ciel »), maître du ciel, roi des dieux, et sa parèdre Antum ;

  • Enlil (« seigneur-air »), maître de la terre, démiurge, dieu protecteur de Nippur, et sa parèdre Ninlil ;

  • Enki (« seigneur-terre » ?), Ea pour les Sémites, maître des eaux douces, dont la ville sainte est Eridu.

Sous cette triade se trouvent les divinités astrales comme le dieu-lune Nanna (Sîn en akkadien) et le dieu-soleil Utu (Shamash en akkadien) ; puis les dieux infernaux et les dieux guerriers ; puis les dieux de la nature et les dieux guérisseurs ; puis les dieux d'instruments (pioche, moule à briques, etc.) et enfin les esprits et autres démons.

Notes

  1. E. L. Daniel, The History of Iran

  2. Larousse illustré, 1984

  3. M. A. Oraizi, L'Iran: un puzzle? Paris, L'Harmattan, 2010, p.17.

  4. M. A. Oraizi, Op cit.

  5. André Parrot, Sumer, Paris, Gaillimard, 1960, p. 93-162.

  6. M. A. Oraizi, Op. cit., p. 18.

  7. G. Renard, Le travail dans la préhistoire, Paris, E. Alcan, 1931, p. 158.

  8. M. A. Oraizi, Op. cit.

  9. A. Cuvillier, Manuel de sociologie, vol. III, Paris, PUF, 1950, p. 623-626.

  10. Gordon Childe, L'Orient préhistorique, p. 170.

  11. L. Delaporte, Mésopotamie et la civilisation chaldéo-assyrienne, p. 112.

  12. Leonard Woolley, Les Sumériens, p. 13.

  13. Gordon Childe, Op. cit., p. 147.

  14. Delaporte, Op. cit., p. 106.

  15. M. A. Oraizi, Op. cit.

  16. Alain Joxe, Voyage aux sources de la guerre, Paris, PUF, 1991, pp. 182-183.

  17. Leonard Woolley, Op. cit., pp. 117-118.

  18. M. A. Oraizi, Op. cit., p. 19.

  19. L. Wooley, Op. cit., p.126.

  20. M. A. Oraizi, Op. cit., p. 19.

  21. G. Maspero, Le déclin des empires, pp.721-723.

  22. Carl Bücher, Industrial Evolution, tr. S. Morly Wickett, N.Y., A. M. Kelley, 1968, p. 57.

  23. M. A. Oraizi, Op. cit.

  24. M. A. Oraizi, Op. cit., p. 17

  25. Sir Leonard Woolley, « Les Sumériens à l'école », in Le Courrier de l'UNESCO, vol. xvi, no 6, juin 1963, p. 15, cité par M. A. Oraizi, Op. cit.

  26. Gary Thompson : History of Constellation and Star Names [archive].

  27. a et b Robin Westgate, Ancient Arab Astronomy [archive].

  28. Université de l'Alabama, Département de physique et d'astronomie : CANNON, ANNIE JUMP, astronomer (1863-1941) [archive]

  29. (fr) Étude sur Les sumériens ou les origines de la civilisation [archive]

Bibliographie

  • « Sumer », Supplément au Dictionnaire de la Bible fasc. 72-73, 1999-2002, col. 77-359

  • (en) J. Aruz (dir.), Art of the first cities: The Third millennium B.C. from the Mediterranean to the Indus, New Haven et Londres, 2003

  • (en) J. Black, G. Cunningham, E. Robson et G. Zólyomi, Literature of Ancient Sumer, Oxford, 2004

  • (en) H. Crawford, Sumer and the Sumerians, Cambridge, 1991

  • P. Garelli, J.-M. Durand, H. Gonnet et C. Breniquet, Le Proche-Orient asiatique, tome 1 : Des origines aux invasions des peuples de la mer, Paris, 1997

  • (en) W. W. Hallo, The World’s Oldest Literature : Studies in Sumerian Belles-Lettres, Leyde et Boston, 2010

  • F. Joannès (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, 2001

  • S. N. Kramer, L'histoire commence à Sumer, Paris, 1986

  • J.-L. Huot, Une archéologie des peuples du Proche-Orient, t.I, Des peuples villageois aux cités-États (Xe-IIIe millénaire av. J.-C.), Paris, 2004

  • (en) J. N. Postgate, Early Mesopotamia, Society and Economy at the Dawn of History, Londres et New York, 1992

Voir aussi

Liens externes

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Articles connexes

 

Source: Wikipédia


L'histoire des sumériens